Versión de Thierry Davo, publicada por la editorial Cénomane de Le Mans.
Ce que vous essayez de comprendre, au fond, c’est le sens de ce nœud dans votre gorge que vous camouflez derrière votre sourire implacable, celui que vous réservez à vos amis – vous n’avez pas d’amis – et à vos éventuelles maîtresses, ce sourire que vous avez passé votre vie à repasser devant votre miroir : une structure faite d’os, de muscles, de nerfs et d’âme qui vous sert à marcher à grands pas dans la rue et à rentrer chez vous avec un soupir de soulagement : le regard bien modulé, les joues distordues, délicatement asymétriques, un haussement imperceptible des sourcils et les dents aussi pures que la conscience d’un ange, même si cette blancheur, c’est ce qu’enseigne l’histoire des anges, est plus cosmétique que spirituelle.
Vous ne parlez pas de ce dont vous avez réellement envie de parler. Vous parlementez, et vous le faites avec une certaine grâce. Vous négociez avec votre silence. Vous ne direz rien qui ne soit la stricte réponse à ce qui vous est demandé, et même ainsi, il sera nécessaire d’avoir recours à des pinces ou à des marteaux pour obtenir ce que, par ailleurs, nous n’avons nullement besoin d’obtenir : pour nous, il n’est pas nécessaire que vous parliez, et il est bon que vous le sachiez. Notre mission est tout autre, si l’on peut parler de mission, ou d’obligations, si l’on peut dire qu’il s’agit pour nous d’aller au-delà de notre volonté, à supposer qu’il s’agisse bien de volonté, et non de quelque chose de plus profond et en même temps de plus élémentaire, comme pour vous le fait de manger, ou bien, pour les autres mortels, rire et rêver (vous êtes mortel.)
Bien que vous ayez besoin de dire certaines choses, vous avez, comme tous ceux qui viennent ici, la ferme intention de ne rien dire. C’est un jeu : vous êtes venu pour vous défaire de la vérité – de ce nœud qui vous étouffe - ; mais si cela est possible, vous mentirez, ou vous évoquerez les Hauts Faits de Votre Vie comme s’ils étaient insignifiants. Vous exalterez ce qui n’a pas d’importance, vous occulterez intentions et passions. Et si vous triomphez – c'est-à-dire si vous échouez et ne parlez pas – vous vous sentirez satisfait. Satisfait, mais pas heureux, car il ne s’agit pas non plus de bonheur. En aucun cas vous ne serez heureux. Même si vous dites tout ce qu’il est nécessaire que vous disiez, même si l’on vous arrache la peau, vous ne serez pas heureux. Et peu importe que vous parliez ou non, parce que nous obtiendrons de toute façon ce que nous souhaitons : vos secrets, qui sont la géographie de votre âme, le guide permettant d’en découvrir les moindres recoins.
Ici, votre intimité n’a aucun prix, seuls comptent vos désirs et vos espoirs. Ici, votre costume – ce bouclier – n’est au plus qu’un prélude à votre nudité. Cependant, vos chaussures et vos sous-vêtements ne seront ni tachés ni éclaboussés. Vos cheveux non plus. Pas même votre âme.
Sachez-le : vos mouvements seront minutieusement enregistrés et analysés. Personne ne jugera votre manière de déféquer ou de satisfaire aux exigences de votre corps, vos petits vices et vos grands vides ; nous sommes des observateurs discrets. Nous ne voulons que les clés de votre âme.
Chacun désire quelque chose de différent : célébrité, conscience, pouvoir, sécurité, reconnaissance… Vous, ce que vous souhaitez, c’est que disparaisse ce nœud dans votre gorge. Vous voulez vomir, et c’est pour cela que vous êtes venu jusqu’à nous. Vous n’y prendrez aucun plaisir, mais si vous y parvenez, vous pourrez dormir sans craindre l’asphyxie et sortir dans la rue sans avoir l’impression que tout ce qui entre par vos yeux, vos oreilles, votre peau – la peau, cependant, est un thème à part – se dépose dans votre gorge comme le bouchon de cheveux et de graisse qui obstrue la canalisation d’un lavabo.
Ne pensez pas en termes de psychanalyse. La psychanalyse tente d’exterminer les cadavres de l’âme et promet un bonheur d’autant plus grand que la douleur nécessaire pour l’atteindre aura été intense. Elle promet le purgatoire : un enfer provisoire face auquel le bonheur se réduit au panorama ennuyeux d’une éternité passée à chanter des psaumes en présence d’un être indifférent. Mais, qui souhaite être heureux ? Et qui peut être ce qu’il est, la seule chose qu’il puisse être, sans ses cadavres ? Non seulement ces cadavres si frais et pimpants qu’ils donnent envie d’être embrassés parce qu’ils ont encore entre les lèvres la chaleur du dernier souffle ; non seulement ceux qui sont déjà os et presque cendres, si vieux qu’ils seraient décoratifs dans les meilleurs salons ; mais aussi ceux qui sont en plein épanouissement, qui grouillent de couleurs et de bactéries, qui crèvent en pustules et explosent en odeurs affolées. Ces derniers seuls remuent l’âme et les souvenirs, obligent à penser à autre chose, à penser sérieusement, à chercher des chemins et des raisons, à fuir.
Peut-être l’image des cadavres vous semble-t-elle vulgaire, mais c’est parce que les gens (s’il vous plait, pensez « les gens » entre guillemets) ont eu sur vous une influence négative. Et ce sont « les gens » - cet animal stupide – qui ont décidé pour vous, en choisissant entre la mort – vos cadavres – et une perception plus prophylactique de la vie, haleine fraîche le matin, football et quelques bières le dimanche. C’est pour cela que vous êtes certain que certaines choses ont bon goût si elles sont préparées d’une certaine façon et avec certains condiments, qu’elles ont mauvais goût si elles présentent un certain aspect ou proviennent de certaines sources ; que certaines couleurs ne sont pas appropriées à certaines choses, que l’odeur des cadavres est nauséabonde, sans parler de leur goût supposé qui, du strict point de vue des hyènes, ne doit pourtant rien présenter de mauvais ; que la matière fécale doit être occultée, voire niée, et que la fin ultime des choses – appelez-la corruption ou entropie- est une vision terrible : même en philosophie la pudeur et le dégoût sont plus forts que le besoin de savoir.
En regardant d’un peu plus près le fond de vos désirs, vous verrez qu’on éprouve également du plaisir à être replié sur soi-même, en compagnie de milliers et de milliers de cadavres, un pour chaque acte de votre vie, un pour chaque instant de plaisir et d’angoisse, de luxure et de colère. Et ces cadavres, c’est votre vie. Si vous l’oubliez, vous n’aurez plus qu’à sombrer dans la folie ou mettre fin à vos jours – il existe des techniques notables, que nous pourrions vous enseigner -, ou encore vous résigner à la pire des possibilités, celle qu’offre la psychanalyse : la paix de l’esprit.
Ce n’est pas la paix que vous recherchez, ni vous ni personne, même si c’est ce que vous proclamez dans les bars, les églises et dans la solitude des toilettes. La paix est stupide. La paix est immobile. La paix, c’est l’absence d’idées utiles. Idées utiles : celles qui font vivre compulsivement, avec dignité. Celles qui vous causent de temps en temps des insomnies et, peut-être, si vous n’y prenez garde, vous font pleurer jusqu’à ce que le vide – le vide, et non la paix – se transforme en rêve et vous permette de jouir au réveil de la douce impuissance de penser à votre nom comme à une donnée sans substance.
Vous pouvez vomir vos cadavres, mais pas oublier le plaisir ou la terreur que provoquent leur souvenir ; ni la jouissance que procurent leur odeur et leur texture. Ni leur goût, bien sûr, le goût unique de la chair de votre propre espèce. Vomir ne vaut la peine que si votre objectif est de faire du vide afin que d’autres cadavres – plus frais, plus appétissants – occupent la place des anciens : il est indispensable de se renouveler.
Ne dites pas que ces cadavres ne sont pas les vôtres, que vous les avez trouvés abandonnés dans votre cuisine, à côté du réfrigérateur, que vous n’avez pas eu le cœur de vous en débarrasser, et que vous les avez donc archivés, bien classés, au seul endroit où ils pouvaient trouver de la chaleur, un peu d’humidité et un contact humain : votre gorge. Vous avez assassiné chacun de vos morts. Vous les avez abandonnés aux intempéries afin que le soleil les dévore, ou vous les avez plongés dans la chaux vive, ou jetés à la mer, là où les cadavres, au bout de quelques jours, dévoilent leurs possibilités les plus intéressantes.
La psychanalyse désire désespérément que vous vous défassiez de vos cadavres et que vous les remplaciez par une paix sans sépultures, ce qui ferait de vous un cimetière sans morts, image pathétique s’il en est. Il y a quelque chose d’essentiel dans une âme qui serait comme une ville après la peste, aussi tranquille, aussi agitée. Et aussi belle.
Vous pouvez demander beaucoup plus, ou beaucoup moins, mais cela ne vaudrait pas la peine.
1 comentario:
HEY SAPO....
ENTENDISTE ALGO...YO NO ENTENDÍ NI MIERDITA...JAJAJAJAJA...
SI QUE SOS CURSI CEROTITO....
PUESÍ VOS? Y EN QUE FRENTE ESTABAS DURANTE LA GUERRA? CON FERMAN ESTABAS?...AH...JAJAJAJAJA...
ANTONIO
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